Par Anne-Sophie Favart,
conseiller à la 2ème chambre de la cour d’appel de Bruxelles et à la 21ème chambre francophone de cette cour et
Laurence Massart,
première présidente de la Cour d’appel de Bruxelles
La création de la chambre de conciliation (21ème chambre)
Lorsqu’une requête d’appel est déposée devant la cour d’appel de Bruxelles en matière civile ou commerciale, la cause est traditionnellement mise en état en procédant à des échanges de conclusions et de pièces, puis inscrite sur une liste d’attente. Ensuite, compte tenu de l’importance de l’arriéré judiciaire que la cour n’arrive pas à résorber à défaut de moyens, les parties devront souvent attendre plusieurs années avant que leur affaire puisse être plaidée et examinée par une des chambres de la cour.
Afin d’utiliser au mieux ce temps d’attente, la cour d’appel de Bruxelles a décidé de proposer aux justiciables, dès le dépôt de la requête d’appel, de tenter de trouver une solution amiable à leur différend et, ce avec l’aide, non seulement de leurs avocats, mais d’un magistrat professionnel, qui dans le cadre de sa mission de service public, pourrait les guider adéquatement dans ce processus.
C’est ainsi qu’est né, au mois de juin 2017, le projet-pilote de la 2ème chambre de la cour d’appel, qui traite essentiellement des litiges impliquant le droit de la construction et, plus largement, des contrats d’entreprise, du droit des biens, des troubles du voisinage, de l’urbanisme et de l’environnement. Des audiences de conciliation ont été proposées à partir de cette date dans les matières traitées par cette chambre. A ce moment, des chambres de règlement à l’amiable existaient par ailleurs déjà dans les chambres famille de la cour d’appel.
Si le recours à la conciliation offre en matière civile et commerciale une alternative positive face à l’arriéré judiciaire que connaît la cour d’appel de Bruxelles, la réduction de cet arriéré n’était pas notre seule motivation : nous sommes convaincus par les nombreux avantages de la conciliation judiciaire en tant que démarche alternative à la procédure judiciaire ordinaire, tant du point de vue matériel (économie en temps et en frais de procédure) que du point de vue du rôle pacificateur de la justice (les parties sortent satisfaites et apaisées d’avoir pu, ensemble, dégager une solution choisie et négociée au mieux de leurs intérêts, plutôt qu’imposée par un magistrat après un débat contentieux, le juge et les conseils des parties veillant à ce que les intérêts de toutes les parties au litige soient respectés et rencontrés).
Après trois ans d’expérience de conciliation, avec un taux d’accords de près de 80% et le constat d’un gain de temps considérable pour les justiciables et pour la cour dans les dossiers traités et compte tenu de l’entrée en vigueur de la loi la loi du 18 juin 2018 « portant dispositions diverses en matière de droit civil et des dispositions en vue de promouvoir des formes alternatives de résolution des litiges », la cour d’appel a décidé d’élargir le projet à toutes les chambres civiles et commerciales de la cour.
Il est en effet apparu que, contrairement à ce que l’on pourrait croire a priori, proposer une conciliation en degré d’appel, après des années de procédure, n’est pas une démarche tardive et inutile, au contraire. L’expérience a démontré qu’après souvent – malheureusement – des années de procédure et ayant en main un jugement qui a déjà tranché une fois le litige, les parties ont souvent pris du recul par rapport au conflit qui les oppose, ont réalisé le poids financier et émotionnel d’une procédure en justice et ont généralement identifié ce qui, à ce stade, est le plus important pour elles. Il peut s’agir d’enjeux financiers, mais également économiques ou simplement relationnels et ceux-ci pourront être mis en exergue dans le cadre d’une conciliation.
La mission et le fonctionnement de la 21ème chambre
La loi du 18 juin 2018 a confirmé et renforcé le rôle du juge dans la promotion des modes de résolution amiable des litiges.
L’article 731 nouveau du Code judiciaire met l’accent sur le fait que la mission du juge inclut celle de concilier les parties. L’article 730 souligne que le juge peut favoriser les modes de résolution amiable des litiges en tout état de la procédure.
Quant à l’article 444 du même code, il prévoit depuis lors que les avocats informent le justiciable de la possibilité de médiation, de conciliation et de tout autre mode de résolution amiable des litiges. Il précise aussi que, s’ils estiment qu’une résolution amiable du litige est envisageable, il appartient aux avocats de tenter dans la mesure du possible de la favoriser.
En matière de médiation, la loi du 18 juin 2018 prévoit que le juge saisi d’un litige peut, à la demande conjointe des parties ou de sa propre initiative mais avec l’accord d’au moins une de celles-ci, ordonner une médiation, tant que la cause n’a pas été prise en délibéré. Il peut donc imposer une médiation après avoir entendu les parties, sauf si toutes les parties s’y opposent (art. 1734, §1er, al. 2 C.J.).
Enfin, le droit collaboratif a également fait son entrée dans le Code judiciaire en tant que «processus volontaire et confidentiel de règlement des conflits par la négociation impliquant des parties en conflit et leurs avocats respectifs », auquel le juge peut renvoyer les parties si elles le demandent (articles 1738 et suivants).
C’est dans ce cadre que deux nouvelles chambres (F et N) ont été ouvertes au sein de la cour d’appel de Bruxelles le 1er septembre 2020. Il s’agit des 21èmes chambres entièrement consacrées à la conciliation.
La conciliation est proposée dès l’introduction de tout nouveau dossier civil devant la cour et peut être demandée pour les dossiers se trouvant sur les listes d’attente de la cour.
La conciliation diffère d’une médiation.
C’est le juge qui est le conciliateur et il peut, après les avoir entendues, suggérer des solutions aux parties. Il ne peut par contre rechercher longuement les intérêts et les besoins des parties pour permettre à celles-ci d’élaborer une solution, comme le ferait un médiateur, au cours de plusieurs séances de médiation. La cause est fixée a priori pour 90 minutes devant la 21ème chambre et une seule conciliation est fixée par audience ; si nécessaire, la cause pourra être mise en continuation. Si les parties le souhaitent et que cette solution semble plus adéquate, le juge conciliateur pourra également ordonner une médiation.
Les conseillers qui composent la 2ème chambre ont tous suivi une formation en conciliation, à tout le moins celle proposée par l’Institut de Formation Judiciaire (I.F.J.) et souvent d’autres formations du même type. Leur formation et leur expérience dans les matières qu’ils traitent leur permet de donner le cas échéant aux parties, pendant l’audience de conciliation, un avis sur les chances de succès de leurs arguments dans le cadre d’une procédure ordinaire et de les confronter aux réalités juridiques et judiciaires. Le juge conciliateur dispose d’une grande liberté de parole puisque, dans l’organisation mise en place à la cour d’appel, ce juge ne connaîtra jamais de la cause au fond dans le cadre de la procédure ordinaire si aucun accord ne devait être trouvé. Il est donc indépendant et impartial, mais n’est pas nécessairement neutre comme l’est un médiateur.
Les avocats, quant à eux, jouent un rôle très important dans ces conciliations, tant dans la préparation de l’audience avec leur client que, durant la négociation, en assistant et conseillant leur client dans la recherche d’une solution satisfaisante et équilibrée.
Le fait qu’un avocat ait une formation de médiateur est évidemment un atout pour mener à bien une conciliation. Leur expérience, leur capacité d’écoute et leur créativité dans la recherche de solutions au litige sont en effet des qualités qui facilitent grandement la conciliation.
Quant à l’audience elle-même, elle se déroule sans formalisme particulier, à l’exception du port de la toge, sous la direction du juge et en présence du greffier, avec pour objectif un règlement efficace et rapide du conflit. Le juge entend les parties et leur(s) avocat(s) en chambre du conseil, autour d’une table. Les avocats assistent et guident leurs clients dans leur réflexion sur l’accord qui peut être envisagé.
De l’accord des parties, il est convenu en début d’audience de conciliation que les échanges qui interviendront seront confidentiels et, si cela convient aux parties, le juge conciliateur pourra s’entretenir en aparté avec chacune d’entre elles dans le cadre de la recherche d’une solution au litige.
Les règles appliquées sont donc fort différentes de celles d’une procédure judiciaire ordinaire. La cour est cependant convaincue qu’en tenant des audiences de conciliation, le juge contribue à la paix sociale et remplit, au bénéfice de tous, sa mission tendant à apaiser les conflits.
Comment soumettre un litige à la 21ème chambre ?
Un courrier type est adressé par le greffe civil à chaque avocat et à chaque justiciable dès le dépôt de la requête d’appel. Il leur est proposé de recourir à la conciliation, dans le cadre d’une procédure volontaire, qui n’a pas d’incidence sur la procédure ordinaire en cas d’échec. En l’absence d’accord, le dossier gardera en effet sa place sur la liste d’attente.
Pour s’inscrire à une audience de conciliation, il suffit que les avocats ou les parties en fassent la demande de commun accord, soit immédiatement par email (chambre 21f.ca.bruxelles@just.fgov.be ou kamer21n.hvb.brussel@just.fgov.be) confirmé via e-déposit ou DPA-deposit adressé au greffier de la 21ème chambre, soit par courrier ordinaire (Palais de Justice, place Poelaert, 1000 Bxl ou Justitiepaleis, Poelaertplein 1, 1000 Brussel), soit lors de l’audience d’introduction.
Cette démarche est dès à présent possible également pour les dossiers se trouvant sur les listes d’attente de la cour et la cour invite dès lors les avocats à examiner la possibilité de recourir à une conciliation dans les dossiers en souffrance dans leur cabinet. La cour réfléchit en outre à une solution plus dynamique pour l’avenir, afin de ne pas reporter uniquement sur les avocats l’initiative de proposer à la conciliation un dossier sur la liste d’attente d’une des chambres de la cour.
En réponse à la demande de fixation à une audience de conciliation, une date rapprochée est immédiatement communiquée aux parties, ainsi que le temps qui sera consacré à la conciliation (comme déjà précisé, généralement environ 90 minutes, avec une possibilité, si nécessaire, de mise en continuation). Une date qui convient à tous doit être trouvée car le jour de l’audience de conciliation, les parties doivent comparaître en personne, assistées ou non de leur(s) avocat(s) et si une personne morale est à la cause, la conciliation ne peut avoir lieu que si une personne physique pouvant représenter et engager cette personne morale est présente.
Un courrier est encore adressé ensuite aux avocats intervenants (ou, à défaut, aux parties en personne), pour attirer leur attention sur l’importance de préparer cette audience avec leur client dans l’optique d’une conciliation, dont l’esprit est bien entendu différent de celui d’une procédure ordinaire. Nous les invitons à déjà réfléchir avec leur client aux éléments importants pour lui et à des propositions, le cas échéant chiffrées, qui pourraient servir de base à la conciliation.
Il est suggéré aux parties, si elles le souhaitent, de faire parvenir à la 21ème chambre, si possible au plus tard 15 jours avant l’audience, une copie des pièces leur paraissant utiles dans le cadre de la conciliation, ainsi éventuellement qu’une courte note d’audience faisant le point sur la situation dans l’optique d’une conciliation, de manière à ce que le magistrat siégeant à l’audience de conciliation puisse en prendre préalablement connaissance.
A l’issue de l’audience:
- si les parties trouvent un accord clôturant totalement ou partiellement la contestation, l’accord peut immédiatement être acté et un arrêt le constatant est rendu dans les huit jours. Si une des parties ne respecte pas l’accord, l’autre partie peut donc le faire facilement exécuter ;
- si la conciliation n’aboutit pas, ou en cas d’accord partiel, la procédure judiciaire classique se poursuit devant un autre magistrat après redistribution de la cause devant la chambre compétente compte tenu de la matière faisant l’objet du litige (le cas échéant uniquement sur les points encore en litige): un calendrier d’échange des conclusions est établi et la cause est inscrite sur la liste d’attente, en vue de sa fixation future pour plaidoiries.
Conclusion
Les procédures de conciliation proposées par la cour d’appel rentrent tout à fait dans le cadre de la nouvelle loi sur les formes alternatives de règlement des litiges.
Il nous semble que les conciliations organisées devant un juge par le pouvoir judiciaire ont, pour les justiciables, l’avantage de leur donner la possibilité de se réapproprier leur litige et de trouver ensemble une solution pour pacifier leurs relations plutôt que de laisser un juge « trancher » ; elles préservent en outre un accès effectif des citoyens à la justice. Dans ce cadre, l’avocat a un rôle essentiel. Il conserve une réelle maîtrise du processus, puisque la conciliation n’est pas obligatoire et ne se fera que de l’accord des parties. Il a en outre un rôle actif, aux côtés du juge, plutôt que face à lui, et en tant que conseil de son client, pour tenter d’aboutir à une solution plus rapide et satisfaisante pour celui-ci. De plus, la procédure de conciliation ne constitue pas une perte de temps pour le justiciable et son avocat puisqu’elle n’a pas d’incidence sur la procédure ordinaire en cas d’échec : en l’absence d’accord, le dossier gardera en effet sa place sur la liste d’attente de la cour.
Enfin, dès lors qu’elle entraîne un gain de temps considérable pour les justiciables et pour la cour, la conciliation pourrait participer à la résorption de l’arriéré de la cour d’appel de Bruxelles dans les affaires civiles et commerciales.
Si nous espérons voir les audiences de conciliation se multiplier au sein de la cour d’appel, il est cependant évident que des causes devront toujours être tranchées par la voie contentieuse. La conciliation n’est en effet qu’une voie parmi d’autres pour régler un différend soumis à la Justice, mais dans certains la cas plus adéquate ou la plus efficace.
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