L’expérience en cours

Depuis le mois de juin 2017 – donc depuis plus d’un an –, des audiences de conciliations se tiennent devant la 2ème chambre de la cour d’appel de Bruxelles, qui traite essentiellement des litiges impliquant le droit de la construction et des contrats d’entreprise .

Cette démarche a été initiée par les magistrats de cette chambre, notamment afin d’offrir une alternative à des justiciables face à l’inacceptable retard que connait la 2ème chambre dans le traitement de leurs dossiers.

L’importance de l’arriéré judiciaire devant la cour d’appel de Bruxelles est connue : plusieurs chambres sont, depuis longtemps, gravement affectées par le manque de magistrats et de personnel judiciaire, et les justiciables attendent beaucoup trop longtemps avant que leur dossier puisse être examiné par la cour. Tel est notamment le cas devant la 2ème chambre civile de la cour: entre le dépôt de la requête d’appel et la fixation du dossier pour plaidoiries, il s’écoule parfois 6 ans[1]. Ce sont des appels de jugements rendus entre 2012 et 2014 qui sont, pour l’essentiel, examinés actuellement.

Ce recours à la conciliation n’aurait toutefois pas été initié si la réduction de l’arriéré était notre seule motivation : nous sommes convaincus par les nombreux avantages de la conciliation[2] et pensons que proposer une tentative de solution amiable aux différends, encadrée par un juge, gratuite, et dans le cadre du service public de la justice, est conforme au rôle du juge et à sa mission d’apaiser les conflits.

Les trois conseillers qui composent la 2ème chambre ont suivi la formation en conciliation proposée par l’Institut de Formation Judiciaire (I.F.J.).

La procédure proposée

L’objectif est d’offrir aux parties une solution négociée et donc plus efficiente, beaucoup plus rapide[3] et totalement gratuite[4]. Il s’agit d’une procédure volontaire et totalement libre, qui n’a pas d’incidence sur la procédure ordinaire  en cas d’échec.

En pratique, un courrier est adressé par le greffe à toutes les parties personnellement (appelantes et intimées) et à leurs avocats, juste après le dépôt de la requête d’appel. Les parties et leurs conseils sont informés des délais ordinaires de fixation devant la 2ème chambre de la cour et il leur est expliqué en quelques mots en quoi consiste la conciliation.

Le courrier précise que c’est le juge qui est le conciliateur et qu’il peut, après les avoir entendues, suggérer des solutions aux parties.

Il leur est proposé de s’inscrire à une audience de conciliation, soit le jour de l’introduction de la cause devant  la 2ème chambre de la cour, soit dès réception dudit courrier, ou encore à tout stade de la procédure, par simple lettre adressée au greffier ou par courriel (chambre2.ca.bruxelles@just.fgov.be), en mentionnant le numéro de rôle de l’affaire.

Une date rapprochée d’audience de conciliation est alors immédiatement communiquée aux parties, ainsi que le temps qui sera consacré à la conciliation (généralement 1h 30 à 2h, avec une possibilité, si nécessaire, de mise en continuation).

Un courrier est encore adressé aux avocats intervenants (ou, à défaut, aux parties en personne), pour attirer leur attention sur l’importance de préparer cette audience avec leur client dans l’optique d’une conciliation, dont l’esprit est bien entendu différent de celui d’une procédure ordinaire. Nous les invitons à déjà réfléchir avec leur client aux éléments importants pour lui et à des propositions, le cas échéant chiffrées, qui pourraient servir de base à la conciliation.

Il est suggéré aux parties, si elles le souhaitent, de faire parvenir à la 2ème chambre, si possible au plus tard 15 jours avant l’audience, une copie des pièces leur paraissant utiles dans le cadre de la conciliation, ainsi éventuellement qu’une courte note d’audience faisant le point sur la situation dans l’optique d’une conciliation, de manière à ce que le magistrat siégeant à l’audience de conciliation puisse en prendre préalablement connaissance.

Le jour de l’audience de conciliation, les parties doivent comparaître en personne, assistées ou non[5] de leur(s) avocat(s). Si une personne morale est à la cause, la conciliation ne peut avoir lieu que si une personne physique pouvant représenter et engager cette personne morale est présente.

En pratique, dans les litiges de la compétence de la 2ème  chambre, ce sont essentiellement des architectes, des entrepreneurs, des maîtres de l’ouvrage et des compagnies d’assurance qui se présentent aux conciliations.

L’audience se déroule sans formalisme particulier, en toge, sous la direction du juge et en présence du greffier, avec pour objectif un règlement efficace et rapide du conflit. Le juge entend les parties et leur(s) avocat(s) en chambre du conseil, autour d’une table. Les avocats assistent et guident leurs clients dans leur réflexion sur l’accord qui peut être envisagé. Tous les échanges qui interviennent pendant les audiences de conciliation sont, comme suggéré par le magistrat conciliateur et de l’accord des parties, confidentiels[6].

A l’issue de l’audience:

  • si les parties trouvent un accord clôturant totalement ou partiellement la contestation, l’accord peut immédiatement être acté et un arrêt le constatant est rendu dans les 8 jours. Si une des parties ne respecte pas l’accord, l’autre partie peut donc le faire facilement exécuter ;

  • si la conciliation échoue, ou en cas d’accord partiel, la procédure judiciaire classique se poursuit devant un autre magistrat de la 2ème chambre (le cas échéant uniquement sur les points encore en litige): un calendrier d’échange des conclusions est établi et la cause est inscrite sur la liste d’attente, en vue de sa fixation future pour plaidoiries.

Les dispositions légales applicables

Quand nous avons commencé les audiences de conciliation, le Code judiciaire autorisait le juge d’appel à tenter de concilier lui-même les parties pour qu’elles parviennent, si possible, à un accord, total ou partiel (articles 731 et 1042 du Code judiciaire).

Depuis lors, la loi du 18 juin 2018 « portant dispositions diverses en matière de droit civil et des dispositions en vue de promouvoir des formes alternatives de résolution des litiges » a été publiée au Moniteur belge du 2 juillet 2018 et est largement entrée en vigueur le 12 juillet dernier.

Cette loi constitue un véritable changement : le Code Judiciaire autorise dorénavant le juge à surseoir à la procédure ou à remettre la cause à date fixe pour permettre aux parties de vérifier si leur litige peut être totalement ou partiellement résolu à l’amiable, et décide qu’il rentre dans la mission du juge de proposer des conciliations, d’imposer dans certains cas le recours à la médiation, et de proposer le recours au droit collaboratif.

Le nouvel article 730/1 §1er du Code judiciaire prévoit ainsi que « Le juge favorise en tout état de la procédure un mode de résolution amiable des litiges ».

« Sauf en référé, le juge peut, à l’audience d’introduction ou lors d’une audience fixée à date rapprochée, interroger les parties sur la manière dont elles ont tenté de résoudre le litige à l’amiable avant l’introduction de la cause et les informer des possibilités d’encore résoudre le litige à l’amiable. A cette fin, le juge peut ordonner la comparution personnelle des parties ».   Sauf si une telle mesure a déjà été ordonnée dans le cadre du même litige, « A la demande de l’une des parties ou s’il l’estime utile, le juge, s’il constate qu’un rapprochement est possible, peut, à cette même audience d’introduction ou à une audience fixée à date rapprochée, remettre la cause à une date fixe, qui ne peut excéder un mois sauf accord des parties, afin de leur permettre de vérifier si leur litige peut être totalement ou partiellement résolu à l’amiable et de recueillir toutes les informations utiles en la matière » (art. 730/1 §2 C.J.).

L’article 731 C.J. est encore plus clair : « Il entre dans la mission du juge de concilier les parties ».

Cet article précise également qu’à la requête d’une des parties ou de leur commun accord, une demande peut être soumise « à fin de conciliation » au juge compétent.

La loi du 18 juin 2018 impose en outre aux avocats d’informer le justiciable « de la possibilité de médiation, de conciliation et de tout autre mode de résolution amiable des litiges » et, s’« ils estiment qu’une résolution amiable du litige est envisageable, ils tentent dans la mesure du possible de la favoriser » (article 444 al.2 C.J., sous le chapitre II, « Prérogatives et devoirs des avocats »).

De même, les huissiers de justice sont invités à tenter, « dans la mesure du possible, de favoriser une résolution amiable des litiges notamment en informant le justiciable de la possibilité de médiation, de conciliation et de tout autre mode de résolution amiable des litiges » (article 519 §4 C.J., sous le chapitre II, « Des missions et des compétences de l’huissier de justice »).

Enfin, en matière non de conciliation mais de médiation[7], la loi prévoit que le juge saisi d’un litige peut, à la demande conjointe des parties ou de sa propre initiative mais avec l’accord d’au moins une de celles-ci, ordonner une médiation, tant que la cause n’a pas été prise en délibéré. Il peut donc imposer une médiation après avoir entendu les parties, sauf si toutes les parties s’y opposent (art. 1734, §1er, al. 2 C.J.).

Conclusion

Les dispositions citées ci-dessus sont déjà en vigueur et vont nécessiter, pour être réellement appliquées, une évolution importante des mentalités notamment des magistrats et avocats.

Les procédures de conciliation initiées par la 2ème chambre de la cour d’appel rentrent tout à fait dans le cadre de la nouvelle loi sur les formes alternatives de règlement des litiges.

Il faut cependant souligner que si la loi tend à encourager les modes de règlement des litiges les plus appropriés à chaque situation, en orientant les parties vers divers modes amiables de résolution de conflits, qui peuvent souvent aider à  pacifier les relations à long terme, un autre objectif moins avouable, économique et budgétaire, est aussi poursuivi par le législateur : il espère, par le développement des formes alternatives de résolution des conflits, diminuer le nombre de litiges à traiter par la voie judiciaire, et dès lors résorber l’arriéré judiciaire sans devoir augmenter les moyens financiers nécessaires à son bon fonctionnement.

Il nous semble que les conciliations organisée devant un juge par le pouvoir judiciaire ont pour avantage, outre la possibilité pour les parties de se réapproprier leur litige et de trouver ensemble une solution pour pacifier leurs relations plutôt que de laisser un juge « trancher »[8], d’éviter une certaine privatisation de la justice, des coûts supplémentaires pour les justiciables, et qu’elles préservent un accès effectif des citoyens à la justice.

Les échanges qui ont eu lieu dans le cadre de la conciliation étant confidentiels, l’absence d’accord est sans conséquences réelles sur la suite du traitement du litige. La cause réintégrera la voie ordinaire de fixation devant la cour[9], et elle sera examinée – malheureusement des années plus tard dans le cas de la cour d’appel de Bruxelles – par un autre juge.

En ce qui concerne la formation à la conciliation, si nous avons suivi la brève formation en conciliation qui a été proposée par l’I.F.J., et qu’il existe des formations à la médiation, notamment à l’I.F.J., les changements apportés par la nouvelle loi tendant à la promotion des formes alternatives de résolution des litiges justifient que d’autres formations de ce type, plus pointues, soient proposées aux magistrats[10].

Enfin, le bilan d’une année d’audiences de conciliation[11] est, en quelques mots, le suivant :

  • la plupart des demandes de conciliation sont intervenues juste après le dépôt de la requête d’appel,

  • il y a 77,78% d’accords,

  • un gain de temps de l’ordre de 50% est constaté dans les dossiers traités[12],

  • certains dossiers sont encore « en attente » (les parties sont en négociation).

L’expérience démontre donc qu’avec le même nombre d’heures de travail, il est possible de traiter nettement plus de dossiers, ce qui, outre la satisfaction des parties qui trouvent ainsi elles-mêmes une solution rapide et positive à leur litige, est une bonne réponse au traitement de l’arriéré que connait notre chambre et, plus largement, la cour.

Nous souhaitons donc non seulement poursuivre mais étendre l’expérience, en faisant encore mieux connaître cette possibilité (de nombreux efforts de diffusion de l’information ont été faits en ce sens auprès des barreaux au cours de l’année judiciaire) et en multipliant les audiences de conciliations[13].


[1] Actuellement – en septembre 2018 – une affaire en état d’être plaidée devant la 2ème chambre de la cour dans le cadre d’une procédure ordinaire ne pourra pas être fixée pour plaidoiries avant 2020 (chambre à 3 conseillers) ou 2024 (chambre à 1 conseiller – délai qui s’explique par le fait que depuis plusieurs années et jusqu’il y a peu seuls deux magistrats sur trois de la chambre siégeaient à conseiller unique). Il faut toutefois souligner que, pour l’ensemble de la cour, il y a chaque année environ le même nombre d’affaires civiles entrantes (« input ») que sortantes (« output »), soit environ 4.000 dossiers, et que c’est le stock de dossiers civils en attente (presque 12.000), hérités du passé, que la cour n’arrive pas à faire diminuer, qui explique les délais d’attente existants pour plaider une affaire (compte tenu de la fixation des causes selon un système de « first in first out »).

[2] A condition de veiller à ce que les intérêts des toutes les parties au litige soient respectés et rencontrés.

[3] Une date d’audience rapprochée pourra être donnée aux parties, et celles-ci ne devront pas mettre par écrit leurs arguments (conclusions d’appel).

[4] À l’exception des frais de mise au rôle de la requête d’appel et des frais et honoraires de leurs avocats, à assumer par chacune des parties.

[5] En un an d’audiences de conciliation, aucune partie ne s’y est encore présentée sans avocat.

[6] La conciliation ne pouvant se dérouler sereinement que dans une atmosphère de respect et d’une certaine confiance, la confidentialité des échanges, à laquelle s’engagent toutes les parties en présence de leurs avocat, du magistrat et du greffier, n’est actée à la feuille d’audience que si les parties le demandent.

[7] Le droit collaboratif fait également son entrée dans le Code judiciaire en tant que « processus volontaire et confidentiel de règlement des conflits par la négociation impliquant des parties en conflit et leurs avocats respectifs », auquel le juge peut renvoyer les parties si elles le demandent ( articles  1738 et suivants, qui entreront en vigueur le 1er janvier 2019).

[8] Avec tout ce que ce terme implique.

[9] Mise en état de la cause sur pied de l’article 747 du Code judiciaire (mais, à la cour d’appel de Bruxelles, sans fixation d’une date de plaidoirie), puis inscription sur une liste d’attente (déduction faite du temps consacré à la tentative de conciliation), en vue de sa fixation dont les parties seront averties environ 3 mois avant la date à laquelle elle pourra être plaidée.

[10] Ainsi, d’ailleurs, qu’aux avocats.

[11] Soit une douzaine de dossiers traités (une audience de conciliation était organisée toutes les 3 semaines).

[12] si l’on compare le temps qu’on aurait théoriquement consacré aux dossiers dans le cadre de la procédure ordinaire et celui qui leur a effectivement été consacré dans le cadre des conciliations, en ce compris la perte de temps représentée par le temps consacré aux dossiers dans lesquels aucun accord n’est intervenu.

[13] Vu le succès rencontré pour le moment par le projet, depuis ce mois de septembre 2018, outre ses audiences habituelles, la 2ème chambre de la cour consacre une audience par semaine  à la conciliation, avec en principe un seul dossier fixé par audience pour 60 à 120 minutes, avec possibilité d’une éventuelle mise en continuation.

François STAECHELÉ

Magistrat honoraire - administrateur chargé de la communication - secrétaire général de Gemme-France - président de la chambre arbitrale de Lorraine